1. Il n'y a rien dans le monde
de plus souple et de plus faible que l'eau ;
mais pour attaquer ce qui est dur et fort,
il n'y a rien qui la surpasse.
Cela parce qu'il n'y a rien
Qui puisse la remplacer.

2. Que le faible l'emporte sur le fort
Et le souple sur le dur,
tout le monde le sait,
Mais il n'y a personne qui le mette en pratique.

3. C'est pourquoi le Sage a dit :
« Celui qui assume les sordidités du royaume
est digne de sacrifier aux dieux du sol et du grain ;
celui qui assume les malheurs du royaume
est digne d'être le roi du monde ».

4. Les paroles vraies semblent être des paradoxes.

Commentaire 

1. L'eau est « souple » car elle s'insinue partout, « faible », car elle se plie au relief du terrain aussi bien qu'à la volonté de l'homme, qui la met dans tel récipient ou tel autre
sans qu'elle ait le choix, la change en glace ou en vapeur, etc. Rien ne peut prendre sa place, car rien ne peut, comme elle s'insinuer partout.
La souplesse et la faiblesse de l'eau sont la métaphore d'une faiblesse qui se change en force, qui est force : l'eau faible et molle use la roche dure et forte. Ainsi la faiblesse de l'enfant
se soumet la force des parents.

2. Le faible l'emporte sur le fort. Le faible par excellence est l'enfant. Et c'est pour les enfants que les adultes font tout ce qu'ils font. L'enfant est l'explication finale du comportement des adultes. Le souple l'emporte sur le dur : la douceur, que ce soit celle de l'homme, ou, surtout, de la femme, a souvent raison de la dureté.
Cela, tout le monde le sait ; cependant les hommes continuent à faire usage de la force - un usage violent de la force : d'où les répressions, les guerres, etc.

3. Celui qui prend sur lui la « boue », l'« ordure » (kou) morale, le négatif du royaume, est digne de sacrifier à l'esprit du Sol et à l'esprit des Céréales - à la Terre -, par là d'être le Seigneur du sol et des céréales, donc aussi le chef ou roi du royaume. Car, prendre sur soi les souillures du royaume, c'est les souffrir, mais aussi les surmonter, de sorte que le négatif se change en positif - nullement de lui-même, mais grâce à celui qui apporte avec lui la sagesse politique.

Note. « Prendre sur soi la culpabilité, condition préalable de la souveraineté, est une notion courante dans l'Antiquité chinoise tout comme en Asie occidentale et en Europe ».
(Wilhelm-Perrot, p. 169). Cf. les prières des rois Tang et Zhou, citées dans les Entretiens de Confucius, XX. 1.

4. Littéralement: « La parole droite (cheng) est comme à l'envers (fan) ». Autrement dit, les paroles de Lao-Tseu, quoique justes et vraies, ne peuvent qu'offenser les oreilles communes. Elles semblent contraires au bon sens, alors qu'elles ne sont que contraires aux opinions reçues et aux préjugés d'une collectivité.

Il y a beaucoup de paroles de Lao-Tseu qui ne peuvent qu'être insupportables aux militaires, aux patriotes, aux amis de la force et de la puissance matérielles, aux ambitieux, aux hommes de pouvoir et d'argent, etc. Par exemple, ce qu'on lit au chapitre suivant, en LXXIX. 2, ne peut que sembler tout à fait contraire à ce que l'homme moyen juge normal et raisonnable.

Auteur : Lao-Tseu
extrait de "Tao Te King", traduit et commenté par Marecel Conche (Editions PUF - 2003)

 

 

 

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